Cannes : après Fatima, Philippe Faucon filme le déracinement d’Amin avec force et pudeur

Cannes : après Fatima, Philippe Faucon filme le déracinement d’Amin avec force et pudeur

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Par Mehdi Omaïs

Publié le

Alors que sa mini-série Fiertés fait encore l’actualité, le cinéaste Philippe Faucon, césarisé en 2016 pour son magnifique Fatima, a présenté Amin à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes. Un portrait touchant d’un travailleur sénégalais écartelé entre deux pays.

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Depuis ses débuts il y a trente ans, le discret Philippe Faucon a fait de l’anti-spectaculaire son cheval de bataille. Son cinéma, entièrement basé sur une économie d’effets, ne s’est jamais encombré d’esbroufe, de facilité. On lui sait gré d’être direct, franc, sensible. Avec l’acuité d’un chantre de la sociologie, il parvient toujours à débusquer une humanité nue, scrutant les non-dits, cherchant ce qui se cache et ce qui définit intrinsèquement les êtres qu’il porte à l’écran. Pour les besoins d’Amin, l’intéressé applique justement sa méthode à la destinée d’un travailleur sénégalais installé sur le sol français depuis neuf ans. Derrière lui ? Un pays, une femme, trois enfants et toute une vie de souvenirs.

En France, l’homme taiseux rase les murs. Son quotidien se résume à des chantiers éprouvants et aux quelques discussions qu’il tient, épuisé, avec les autres hommes de son foyer. De toutes les façons, Amin n’a pas le choix. Cette existence qu’il consent à mener est la seule manière pour lui de subvenir aux besoins de sa famille, qu’il ne voit qu’une à deux fois par an, sur des périodes extrêmement ramassées.

Philippe Faucon investit ainsi, avec la pudeur qu’on lui connaît, cette double existence terrassante et la solitude qu’elle inflige au héros, comme à tous ceux qui gravitent autour de lui. Qu’il soit dans son pays d’accueil ou d’origine, sa souffrance est à l’affût. Et il se garde bien de l’exprimer.

Un homme, deux femmes, trois solitudes

Amin est une œuvre dans laquelle les personnages ne cèdent pas à l’intellectualisation. Ils sont tous animés par un besoin vital d’avancer, de tenir, de garder un cap, à commencer par le protagoniste qui ne trouve jamais le temps (et l’énergie) de se livrer ou de réfléchir. La quête existentialiste, il ne la connaît pas. Ou la tient plutôt à distance. Pour se protéger, sûrement. Quand il rencontre Gabrielle (Emmanuelle Devos en retenue parfaite), avec qui il partage une relation, il ne se confie pas non plus.

Philippe Faucon joue sur les silences et n’hésite d’ailleurs aucunement à interrompre les scènes afin qu’elles puissent vivre, par-delà l’écran, dans l’esprit du spectateur. Adroitement, il tricote des ellipses invisibles, lesquelles contribuent à une vraie fluidité narrative et formelle. On bascule ainsi du Sénégal à la France en une seconde, sans la moindre déperdition.

Ici encore, le metteur en scène regarde la France dans sa pluralité et la raconte par bribes intelligentes, faisant exister de nombreux hommes et femmes ayant chacun un véritable espace de liberté. Personne n’est jugé ou pointé du doigt. Amin mène une double vie. C’est davantage un fait qu’un problème aux yeux d’un cinéaste qui ne donne pas de leçon, et qui exècre, à juste titre, toute moralisation de comptoir. Pour arriver à ses fins, il a pu en tout cas compter sur les prestations sobres, sans fioritures, de comédiens inspirés, à l’instar de Moustapha Mbengue, dont c’est le premier rôle. Peut-être moins marquant que Fatima, Amin constitue, s’il en est, un nouvel exemple d’un cinéma éclairant, touchant et qui observe avec sensibilité ces liens qui nous lient tous.