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Ainsi font font font les marionnettes d’Auschwitz

Ainsi font font font les marionnettes d’Auschwitz

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Par Afifia B

Publié le

KAMP c’est le spectacle qui raconte Auschwitz en marionnettes. Ainsi font font font les petites marionnettes… Malaise ?

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Une compagnie néerlandaise, Hotel Modern, fait parler d’elle en ce moment autour de son spectacle, Kamp, que d’aucuns, à travers l’Europe, disent exceptionnel. Auschwitz conté en marionnettes, le propos de Kamp est aussi sec que sa prononciation. K.A.M.P. C’est le couperet lourd de l’Histoire qui tombe sur les gorges de nos mémoires.

Et au regard de nos devoirs de mémoire, ce spectacle de marionnettes est un miroir bouleversant. Un travail de perceptions croisées pour raconter l’infinie grandeur de l’horreur jusque dans l’infinie petitesse du détail.

Souligner les détails de l’histoire pour que jamais Auschwitz ne devienne un détail de l’Histoire justement, c’est la démarche d’Hotel Modern et de beaucoup de ceux, qui, avant, ont aussi porté la Shoah au rang intouchable de symbole de l’horreur. Mais ce dernier statut a des revers : s’il est permis de souligner le pire pour dénoncer l’horreur, n’est-ce pas galvauder l’horreur que de l’exprimer à la chaîne ? C’est juste une question.

Ainsi font font font les marionnettes d’Auschwitz

Kamp c’est donc Auschwitz sous cloche et marionnettes. Le travail qui a entouré cette oeuvre laisse deviner le soin apporté au sens du détail. L’infiniment petit côtoie l’infiniment grand. Le spectacle est bâti telle une machine de guerre dont les rouages sont observés de l’intérieur et ce, jusqu’au plus invisible des boulons.

Trois mille figurines de 8 centimètres de hauteur retracent le quotidien d’une journée “classique” dans ces camps où “le travail rend libre”. Rien n’est omis dans le décor face auquel des écrans diffusent en fond de scène les images du déroulé, une loupe ultra-grossissante pour ne rien louper de ce qui échappe à nos vues aussi évasées qu’évasives.

L’équipe d’Hotel Modern a donc tout fait pour que l’attention du spectateur soit focalisée sur l’ensemble comme sur le plus minuscule des points. Les marionnettes ont l’aura-fantôme de leurs incarnations mais leurs corps tordus et retordus de fil de fer leurs confèrent une présence scénique qui happe le spectateur dans une énergie atmosphérique. L’horreur d’un monde reprend vie.

L’intention de KAMP c’est de montrer ce qui ne saurait être verbalement défini.

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=oCWNQ2g9bLk[/youtube]

Un focus sur l’ombre portée des dortoirs aux draps sales et de tout ce que les témoignages ont transmis de la tragédie historique. Est-ce pour autant une promesse de catharsis ? En voilà une autre histoire.

Interdiction de dé-Kamper ?

En dépit du malaise qui s’immisce à l’idée d’évoquer ce no man’s land historique en marionnette, force est de constater que notre époque porte les stigmates des camps pour s’en nourrir à ce point. Car ce n’est pas la première fois qu’une oeuvre sur le sujet voit le jour. Des tableaux, des récits, des photographies, des représentations, des débats télévisés et des piles de livres l’ont traité bien avant. Mais les controverses et polémiques qui éclatent ci et là témoignent surtout de la sensibilité du sujet.

Face à ces vives réactions, on comprend deux choses : la première c’est que l’eau n’a pas suffisamment coulé sous les ponts de l’Histoire ce qui explique que toute forme de recul “pragmatique” sur ce pan de l’Histoire puisse être souvent considérée comme une dé-considération des évènements. Ce premier élément explique les réactions de rejet face à certains propos humoristiques ou “relativistes” sur le sujet.

Le second élément à soulever c’est que chaque époque a son sens de l’horreur, chaque siècle a sa tragédie et en ce qui concerne la nôtre, la tragédie trouve son allégorie dans les camps de la mort. Mais lorsque les marionnettes de Kamp portent le visage du tableau “le cri” de Munch, le drame historique s’élève en terreur symbolique et par ce fait même, il est sacralisé, transmuant le fait historique en tragédie au sens mythologique du terme.

Qu’on le veuille ou non, la Shoah est devenue une icône culturelle, mesure et référence de la morale de notre temps. A tort ou à raison.

Morale iconique en attendant la catharsis ?

Mais la morale a besoin de références pour se fixer et l’Histoire signe le sens. Les oeuvres comme KAMP consolident la portée de l’événement en poussant la prise de conscience jusque dans le moindre détail d’un décor en allumette. Les oeuvres se créent et se créeont encore autour de ça, une ritualisation culturelle de nos peines sociétales qui va crescendo dans le but de saisir ce que l’entendement peine à voir et à concevoir.

Du coup, d’oeuvre en oeuvre, les non-dits cherchent leur traduction. Chaque fois de plus en plus précise, de plus en plus impactante. Mais pour en arriver où ? Jusqu’à ce que la réalité historique se transforme en un mur sur nos têtes ? Vivement que les allumettes craquent et que la catharsis commence…

source : Le Monde